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samedi 5 mars 2011

Charlie Sheen veut attirer l'attention sur Haïti

Agence France-Presse, Los Angeles
L'acteur américain Charlie Sheen veut se rendre en Haïti et mettre à profit sa célébrité pour «attirer l'attention du monde» sur les difficultés des victimes du séisme du 12 janvier 2010, selon une interview diffusée sur une chaîne américaine.
Charlie Sheen, dont les frasques nourrissent quotidiennement la presse people, a indiqué qu'il prévoyait de se rendre en Haïti avec son ami Sean Penn, l'acteur américain étant lui-même très engagé dans la reconstruction d'Haïti.
«Je suis super emballé à cette idée, parce que vous savez, ça peut permettre d'attirer l'attention du monde» sur la situation en Haïti, a-t-il ajouté dans cette interview diffusée vendredi sur NBC.
L'acteur a également rejeté les accusations d'antisémitisme dont il fait l'objet en soulignant qu'il était lui-même juif. «Ma mère est juive (...) alors j'imagine que cela fait de moi un juif», a-t-il dit.
L'acteur confie avoir été «stupide» de ne pas l'avoir révélé plus tôt, alors que la polémique enflait.
Charlie Sheen est accusé d'avoir tenu des propos antisémites à l'égard du producteur de la série Two and a half men, dans laquelle il tient le rôle principal et dont la production a été arrêtée en raison de ses multiples frasques.
L'interview a été diffusée deux jours après que l'acteur eut annoncé que la police lui avait retiré deux de ses enfants, à la demande de leur mère, avec qui il est en procédure de divorce.
Selon les médias américains, c'est la mère des jumeaux, Brooke Mueller -- qui lutterait, comme Charlie Sheen, contre des problème de dépendance à la drogue -- qui a réclamé l'intervention des autorités, inquiète pour le bien-être de ses enfants.

100 jours pour «changer» Haïti

Agnès Gruda, La Presse À deux semaines du second tour de la présidentielle haïtienne, Mirlande Manigat a fait campagne, hier, à... Montréal. Où elle a plaidé pour la restauration de la souveraineté de son pays.
Sur une de ses affiches électorales, Mirlande Manigat, coiffée d'une casquette, serre une jeune femme dans un geste protecteur. Une image qui fait contraste avec la dame au collier de perles qui a enchaîné les entrevues, hier, dans un restaurant de Montréal.
La photo a été prise à Solino, quartier populaire de Port-au-Prince, où la candidate à la présidence d'Haïti a lancé sa campagne à la mi-février. Mirlande Manigat se souvient très bien du moment où l'adolescente a pris sa main et lui a lancé: «Je suis une jolie fille, pourquoi je ne peux pas aller à l'école?»
«J'ai compris que, ce qu'elle voulait dire, c'est qu'elle pourrait se prostituer pour pouvoir payer l'école», explique la candidate. Alors, Mme Manigat a craqué: elle lui a offert de payer ses études.
Ça, c'est une facette de Mirlande Manigat: la grand-mère de 70 ans qui n'a pu résister à un criant appel à l'aide. Mais il y a aussi l'autre facette: celle de la juriste et fine politicienne qui pèse bien ses mots et slalome entre les écueils.
De passage à Montréal, où elle fait campagne auprès de la diaspora haïtienne, Mme Manigat a expliqué que, même si Haïti ne reconnaît pas la double citoyenneté et que les Haïtiens naturalisés au Canada ne peuvent pas voter pour elle, ils peuvent néanmoins influencer leurs proches restés au pays. Du coup, elle leur a promis de changer la Constitution haïtienne pour permettre la double nationalité.

État court-circuité
C'était l'engagement électoral le plus concret qu'elle avait à offrir, hier. Pour le reste, son programme, rempli de bonnes intentions, occulte un peu les principaux enjeux auxquels Haïti doit faire face.
Ainsi, le programme de Mme Manigat passe sous silence la reconstruction du pays, dévasté par le séisme du 12 janvier 2010. Il faut dire que cette reconstruction est entre les mains de la communauté internationale, qui s'était engagée à verser 11 milliards de dollars en 5 ans pour remettre Haïti sur pied.
L'argent n'arrive pas au rythme prévu, déplore la candidate. Mais ce qui la dérange encore davantage, c'est que les sommes recueillies par la Commission intérimaire pour la reconstruction d'Haïti transitent par la Banque mondiale - et court-circuitent donc l'État haïtien.
«Ce fonctionnement met en cause la souveraineté d'Haïti. L'argent de la reconstruction doit être versé au gouvernement», plaide la candidate.
Si elle est élue présidente, Mirlande Manigat entend changer les règles du jeu. Elle en a déjà glissé un mot à Bill Clinton, l'un des deux présidents de la Commission. Mais encore faudra-t-il convaincre les donateurs internationaux que l'État haïtien, qui s'est montré totalement déficient au lendemain du séisme, est capable de reprendre les rênes de la reconstruction.

La quadrature du cercle
C'est ce à quoi Mirlande Manigat s'attellera durant les 100 premiers jours de son mandat, si elle est élue le 20 mars. «Nous devrons montrer que nous sommes sérieux et que nous voulons vraiment changer les choses», dit-elle.
Quels gestes ferait-elle, une fois élue, pour bien montrer ce désir de changement? Ici, Mme Manigat se fait évasive: «Nous travaillons là-dessus», dit-elle.
Avant de constater que, au bout du compte, le futur président d'Haïti devra résoudre une sorte de quadrature du cercle: «Nous avons besoin d'assistance massive pour nous moderniser, mais nous devons déclencher cette modernisation avant d'avoir reçu cette aide.»
Une juriste contre un chanteur
Le premier tour des élections législatives et présidentielle en Haïti s'est déroulé le 28 novembre dernier. Il a été marqué par des fraudes massives visant surtout à favoriser le candidat du régime, Jude Célestin. Selon les résultats officiels, Mirlande Manigat est arrivée première, avec 31% des voix, contre 22% pour Jude Célestin.
Le dépouillement judiciaire réclamé n'a finalement pas eu lieu, mais sous la pression, ce dernier s'est retiré, cédant la place au chanteur Michel Martelly. Ce dernier est particulièrement populaire auprès des jeunes Haïtiens. Dans un pays où la moitié de la population a moins de 21 ans, c'est un atout de poids.
Mais si Martelly peut compter sur le soutien d'un autre chanteur populaire, Wyclef Jean, Mirlande Manigat a récemment reçu un appui-surprise du groupe rap Barricade Crew... Comment éviter que le second tour soit lui aussi entaché par la fraude? Mirlande Manigat affirme avoir tiré la leçon du 28 novembre. Son parti s'organisera pour mieux surveiller les bureaux de scrutin, notamment. Mais elle reconnaît que le vote du 20 mars risque d'être «hypothéqué» par la faible participation et un éventuel déficit de crédibilité.
http://www.cyberpresse.ca/international/dossiers/elections-en-haiti/201103/05/01-4376388-100-jours-pour-changer-haiti.php

Un voyage en enfer

Publié le 05 mars 2011
Caroline Touzin

La Presse
(Ouanaminthe, Haïti) À 14 ans, Wiseline ignore si elle a été abandonnée ou carrément vendue. Chose certaine: la trafiquante qui l'a fait entrer illégalement en République dominicaine l'a guidée tout droit vers l'enfer.
Fin janvier 2010, peu de temps après le tremblement de terre, l'adolescente était à une fête avec des amies lorsqu'elle a rencontré Mijaguite.
Cette jeune femme de 19 ans leur décrit en long et en large l'eldorado dominicain. À l'entendre parler, la vie là-bas est parfaite. Ce serait un jeu d'enfants de traverser, puis d'y trouver du travail. Un «bon» travail.
À la fin de la soirée, 14 jeunes filles, dont Wiseline, «décident» de quitter Ouanaminthe à l'aube pour traverser illégalement la frontière dominicaine. Destination: Santiago de los Caballeros. Mijaguite, dont elles ne connaissent même pas le nom de famille, leur servira de guide.
Le groupe franchit la frontière qui sépare Ouanaminthe de Dajabon en traversant la rivière Massacre. Wiseline, qui ne sait pas nager, a de l'eau jusqu'aux genoux.
«On ne pouvait pas passer par la route. Il y avait de l'immigration», raconte la jeune fille, qui ne semble pas encore sortie de l'enfance. Non loin de Dajabon, le groupe tombe face à face avec sept militaires sur une route de campagne. Les jeunes filles, sans papiers, se mettent à courir à travers une bananeraie. Wiseline, la plus menue du groupe, est vite rattrapée. «Si on ne retrouve pas les autres, on te laisse partir», lui dit un garde.
Au bout d'un moment, lassés de ratisser le champ sans succès, les gardes abandonnent Wiseline à son sort. La jeune fille finit par retrouver deux amies et Mijaguite. Elle n'a jamais revu les autres.
Le groupe marche ainsi à travers champs pendant quatre jours. Les filles mangent des bananes pour calmer leur faim. Elles finissent par regagner la route, le long de laquelle elles mendient pour amasser de quoi payer un aller simple en autocar vers Santiago.
Une fois dans la deuxième ville du pays, la trafiquante amène les filles dormir chez un «ami». Le soir venu, Mijaguite disparaît et les laisse seules avec l'homme d'une trentaine d'années. «Il nous a enfermées dans une pièce. On a commencé à crier, mais il nous a menacées de nous attacher les pieds et la bouche», murmure Wiseline, comme si l'histoire allait être moins douloureuse si elle la chuchotait.
Ce soir-là, l'homme, Dominicain d'origine haïtienne, les viole toutes les trois. Toute la nuit. Puis, il les force à s'endormir à ses côtés. Wiseline ne trouve pas le sommeil. Elle était vierge. Quand leur bourreau finit par quitter la maison, le lendemain matin, les filles s'enfuient.
Mijaguite les retrouve très vite... pour les convaincre de ne pas porter plainte à la police. «Elle nous a dit qu'il fallait avoir de l'argent pour aller à la police. On n'en avait pas», se souvient Wiseline.
Les adolescentes se mettent à errer dans les rues de Santiago. Sans argent. Sans toit. Elles mendient à un feu de circulation lorsqu'un travailleur social qui vient en aide aux enfants de la rue leur offre son aide. C'est là que Mijaguite disparaît pour de bon. «Je ne l'ai pas revue», dit Wiseline.
La jeune fille atterrit dans un orphelinat de Santiago qui a l'habitude de recueillir des Haïtiens abandonnés à leur sort par les trafiquants. L'orphelinat joint alors les soeurs de Saint-Jean, qui ont un foyer à Ouanaminthe, pour renvoyer Wiseline chez elle.
À son retour au village, les soeurs, à qui Wiseline raconte son viol, l'emmènent à l'hôpital, redoutant le pire. Le pire est survenu. Wiseline a contracté le VIH.
La mère de Wiseline, une femme de 35 ans qui a 8 autres enfants, dont un bébé naissant, ne veut pas la reprendre à la maison. Les religieuses mettent quatre mois à la convaincre. Elles ont fini par y parvenir en offrant de payer une pension pour l'adolescente.
«Ma mère ne s'occupe pas de moi», dit Wiseline, assise sur son lit. Elle partage une minuscule chambre avec deux de ses soeurs dans une maisonnette faite de terre et de branches de palmier. Des publicités découpées dans les journaux tapissent les murs.
L'eldorado dominicain n'existe pas. Wiseline le sait, aujourd'hui. Mais si un autre trafiquant lui promettait mer et monde, il n'est pas dit qu'elle ne tenterait pas de nouveau sa chance. «Je ne suis pas bien ici. Je n'étais pas bien là-bas», résume la jeune fille, dont les barrettes colorées lui donnent un air enfantin. Un contraste avec la profonde tristesse au fond de ses yeux.
Un mois après le tremblement de terre, Larose n'avait plus rien à perdre. L'orphelin de 15 ans n'allait va pas à l'école. Il squattait à gauche et à droite chez des amis à Cap-Haïtien. Parfois, il dormait sur les toits.
Un jour, il rencontre dans un quartier populaire un passeur qui lui demande 500 gourdes (15$) pour l'emmener en République dominicaine. «Il m'a dit que je pourrais trouver un bon travail et que je mangerais à ma faim», raconte le garçon.
Le jour du grand départ, Larose découvre qu'il aura des compagnes de voyage: deux jeunes filles de 17 et 18 ans qui viennent d'un minuscule village non loin de Cap-Haïtien.
Arrivées à la hauteur de la rivière Massacre, les deux filles ont peur de traverser. Elles ne savent pas nager. Le passeur trouve un vieux pneu auquel elles s'accrochent comme elles peuvent.
Une fois sur l'autre rive, le groupe est vite intercepté par des militaires dominicains. «Ils nous ont fait nous déshabiller au complet. Ils cherchaient de l'argent, mais on n'en avait pas.»
Le passeur a mis quelques billets dans les mains des gardes. Ils ont pu poursuivre leur route.
Le passeur a vite récupéré son argent en offrant les deux filles à tous les hommes qu'ils croisaient sur leur route. Larose a assisté à tout cela, impuissant. Une fois à Santiago, les filles ont été vendues chacune 2000 pesos à un proxénète.
Larose a compris que le passeur ne lui trouverait jamais un «bon travail». Il l'a planté là et a fait le chemin inverse vers Haïti. «Je me demande comment vont les filles», dit le garçon, qui se sent visiblement coupable de les avoir abandonnées ainsi.
À Cap-Haïtien, Larose est de retour à la case départ. Il est placeur dans les tap-tap, ces taxis collectifs toujours bondés. Il rêve d'amasser assez d'argent pour se payer une formation de maçon.

Tomber entre de mauvaises mains
Les «garçons de la rue» comme Larose sont des proies faciles pour les trafiquants. Geoffroy, l'un de ses amis, a aussi été leurré. À 14 ans, l'orphelin a suivi aveuglément un Haïtien qui lui promettait de lui trouver un nouveau foyer en République dominicaine.
«On cherche une meilleure vie et on tombe entre de mauvaises mains», lance l'adolescent à l'air fragile. À sa première nuit en sol dominicain, un fermier lui a offert de l'héberger dans sa grange. Le passeur, lui, pourrait dormir dans la maison.
Geoffroy regrette de ne pas s'être méfié davantage. «Pendant que je dormais, le fermier a baissé mon pantalon. Il a fait toutes sortes de choses. J'avais 14 ans, je ne pouvais pas me défendre.» Le lendemain matin, Geoffroy avait trop honte pour en parler au passeur.
Près de la ville de Mao, entre Dajabon et Santiago, dans le nord du pays, ils ont fait un arrêt dans une autre ferme. Geoffroy ne le savait pas, mais il venait d'être vendu à un éleveur de boeufs. «Il y avait deux autres enfants avec moi. Le plus souvent, on mangeait les bananes de son jardin. On commençait à 5h du matin et on travaillait jusqu'à 18h. Je dormais avec les bêtes.»
Après sept mois de ce régime, Geoffroy s'est enfui. Il est rentré à Cap-Haïtien, grossir les rangs des «garçons de la rue».

Les missionnaires baptistes s'en tirent
Le cas des 33 enfants «volés» en Haïti par 10 membres d'une Église baptiste américaine a fait le tour du monde. Les missionnaires ont été arrêtés à la frontière dominicaine un peu plus de deux semaines après le tremblement de terre. Ils ont affirmé que les enfants étaient orphelins. Or, leurs parents étaient toujours en vie. Certains ont admis avoir conclu un accord pour donner leur enfant. Les poursuites ont rapidement été abandonnées contre 9 des 10 baptistes de l'Idaho. La responsable du groupe a fait face à une accusation réduite de «voyage irrégulier». Aussitôt condamnée, elle a été libérée. Haïti n'a pas de loi qui interdit la traite des personnes. Un avant-projet de loi qui ferait de la traite un crime punissable de 7 à 15 ans d'emprisonnement est au menu législatif depuis des années. Il n'a jamais été voté. En 2009, Haïti a pourtant renouvelé ses engagements en ratifiant la Convention internationale contre la criminalité transnationale organisée et ses deux protocoles additionnels.
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/201103/05/01-4376385-un-voyage-en-enfer.php

Enfants à vendre

Publié le 05 mars 2011
(Ouanaminthe, Haïti) Des dizaines d'Haïtiens traversent le pont à pied, munis de brouettes remplies de douzaines d'oeufs, de sacs de charbon ou encore de rouleaux de papier hygiénique. Des garçons se fraient un chemin dans la foule compacte pour offrir leurs services comme cireurs de chaussures.

C'est jour de marché à Dajabon, dans le nord-ouest de la République dominicaine, à la frontière avec Haïti. Deux fois par semaine, le lundi et le vendredi, les Haïtiens arrivent en masse de Ouanaminthe, la ville jumelle du côté haïtien, pour faire leurs emplettes. Ces jours-là, ils n'ont pas à présenter de pièces d'identité.
Ce va-et-vient chaotique offre aux trafiquants d'enfants une couverture idéale. «Nous avons un très sérieux problème les jours de marché. Les gens traversent sans aucun contrôle. Les passeurs en profitent», souligne le commissaire Renel Costumé, de la Brigade de protection des mineurs (BPM).
Avant le séisme, la police haïtienne ne se souciait guère du trafic d'enfants. Depuis quelques mois, huit agents civils de la BPM sont affectés aux quatre principaux postes frontaliers du pays. «C'est nettement insuffisant», reconnaît le commissaire Costumé. Vu le manque de moyens de la police haïtienne, c'est l'UNICEF qui a financé la création de cette brigade au tournant des années 2000.
Depuis 8h ce matin, sous un soleil de plomb, deux agents interpellent chaque adulte accompagné d'un enfant sur l'un des deux ponts de Ouanaminthe. La BPM n'arrive pas à surveiller les deux en même temps, faute d'effectifs. Comme les agents civils ne sont pas armés, ils suscitent davantage d'impatience que de crainte.
L'agent Fredlin Vincent demande ses papiers à une jeune mère qui protège son garçon du soleil à l'aide d'un parapluie. Nerveuse, elle montre pour tout document un carnet fourni par l'hôpital de Dajabon. Elle dit avoir un rendez-vous médical. Un Dominicain, qui prétend être le père de l'enfant, reste à l'écart durant toute l'intervention. «On porte une attention particulière aux gens stressés; souvent, ils sont suspects», souligne l'agent Vincent. Finalement, il laissera partir le couple et l'enfant de 22 mois.
Travailler en vain
Cette méthode a récemment permis à l'agent Vincent de démasquer un trafiquant qui se faisait passer pour le père d'une fillette. L'homme n'avait pas les documents de voyage de l'enfant. Questionnée par l'agent, la petite de 6 ans a timidement répondu que l'homme était son père. Mais elle ne connaissait pas son nom. Le trafiquant a senti la soupe chaude. Visiblement habitué de soudoyer les autorités, il a proposé à l'agent: «Laisse-moi aller vendre l'enfant. On va partager les profits 50/50.»
L'agent Vincent a fait placer l'homme d'une quarantaine d'années en garde à vue. La fillette a été confiée à une organisation caritative catholique, le temps de vérifier si elle avait une famille. La police a retrouvé sa mère le jour même. Au milieu du marché où elle travaillait, elle pleurait et criait que sa fille, Angelica, avait disparu.
Le trafiquant, lui, restera impuni. Il a été libéré deux heures après avoir été placé en garde à vue, apparemment parce qu'il devait être soigné pour une blessure à la tête qu'il venait de se faire dans sa cellule. L'agent Vincent l'a revu traîner dans le marché.
«C'est un peu comme travailler en vain. On arrête un passeur; quand on est chanceux, il est accusé de voyage illégal; il paie une amende et on le revoit ici quelques jours plus tard», lance, découragée, sa collègue Fabienne Jean Valdemar.
Chaque année, quelque 2000 enfants haïtiens entrent illégalement en République dominicaine avec un passeur. Ils sont ensuite forcés à mendier, à se prostituer ou à travailler comme domestique, selon une récente étude de l'UNICEF. Après le tremblement de terre qui a fait quelque 300 000 morts et plus de 1,5 million de sans-abri le 12 janvier 2010, l'UNICEF a tiré la sonnette d'alarme: l'ouverture des frontières pour des raisons humanitaires donnait aussi une occasion en or aux passeurs de faire traverser illégalement des enfants chez le voisin dominicain.
Or, même si la frontière dominicaine s'est refermée ensuite, de nombreuses familles haïtiennes rendues encore plus vulnérables après le séisme ont accepté de confier leurs enfants au premier venu, quand elles ne les ont pas carrément vendus pour survivre. Quelque 40% des enfants haïtiens vivaient déjà dans la pauvreté absolue avant le séisme.
«On voit surtout des cas de parents qui vendent leur enfant. Les Haïtiens font cela depuis longtemps. La traite est une préoccupation occidentale beaucoup plus qu'haïtienne», indique Stéphane Tonon, policier de l'ONU responsable du dossier de la traite dans le nord-est d'Haïti.

Frontière poreuse
Dans les neuf mois qui ont suivi le séisme, ce ne sont pas 2000, mais plus de 7000 enfants haïtiens qui auraient été victimes de trafic et envoyés en République dominicaine, selon Réseau frontalier Jeannot Succès, un groupe haïtien de défense des droits présent à 10 endroits stratégiques sur la frontière haïtiano-dominicaine.
Cette statistique fait sourciller Gallianne Palayret, spécialiste de la protection de l'enfance à l'UNICEF. «Beaucoup d'enfants ont traversé du côté dominicain après le séisme, mais on n'a pas assez de données fiables pour prouver qu'ils ont été victimes de trafic.»
L'Organisation internationale pour les migrations partage les mêmes inquiétudes. «On sait que des familles dominicaines se rendent à Ouanaminthe pour se trouver un restavek (enfant domestique en créole). C'est un produit qu'on marchande», indique le responsable de la lutte contre le trafic d'enfants à l'OIM, Rodrigue Joseph.
Depuis le séisme, la police haïtienne a intercepté 4000 enfants aux principaux postes frontaliers d'Haïti, dont 82 étaient peut-être victimes de traite. Ce serait la pointe de l'iceberg. La plupart du temps, les passeurs empruntent avec les enfants ce qu'on appelle des «routes-jardins», des chemins non officiels, à l'abri du regard des agents frontaliers. Ils traversent à pied, à cheval ou à moto.
Le grand patron de la police haïtienne, Mario Andrésol, admet que la frontière est poreuse. «J'ai une vingtaine de commissariats et de sous-commissariats pour surveiller 360 km de frontière terrestre. Il y a des trous. Ce n'est pas vraiment un contrôle efficace.»
La lutte contre la traite est compliquée par le fait que seulement 40% des enfants possèdent un acte de naissance, fait valoir Ramsay Ben-Achour, directeur de la mission haïtienne de Heartland Alliance.
Cet organisme américain a été le premier à poster des gens à la frontière pour décourager les trafiquants dans les semaines qui ont suivi le séisme. Cela peut paraître ironique, mais ce sont les employés de Heartland qui ont formé les agents de la police haïtienne à détecter les cas de traite.
L'État semble dépassé par le fléau. En théorie, les policiers haïtiens confient à l'Institut du bien-être social et de recherche - la DPJ haïtienne - les enfants interceptés à la frontière. En pratique, à l'extérieur de la capitale Port-au-Prince, l'IBESR est une coquille vide. Et la plupart du temps, à Port-au-Prince, les enfants sont envoyés dans des foyers privés qui débordent.
La directrice de la défense sociale de l'IBESR, Marie Carmel Dejean, se sent impuissante. «Depuis le séisme, on reçoit des enfants qui partent prétendument rejoindre de la famille en Colombie, au Venezuela ou ailleurs en Amérique du Sud. Seront-ils victimes de traite? On ne sait pas exactement ce qui se passe.»
http://www.cyberpresse.ca/international/correspondants/201103/04/01-4376359-enfants-a-vendre.php