Google

dimanche 5 janvier 2014

BELLES DE NUIT....

CHAPITRE  XXX
Gaspard ne trouva guère étonnante, la nature des programmations radiophoniques de ces premières heures du matin.
En parcourant le cadran, assis devant ses papiers en proie au doute et aux incertitudes immédiates, il sentit aussi l'attentisme qui s'était emparé de la ville. Peut être tout le  pays s’y vautrait déjà.
Les stations de radio qui depuis l’aube diffusaient des émissions à forte teneur religieuse ne dérogeaient point à leurs coutumes. D'ailleurs rien ne les obligeait à le faire. C'est surtout dans des moments de troubles qu'il faut rechercher la paix à coups de prières, de psaumes et de cantiques.
« En route avec Jésus », « debout pour Christ », « la cohorte des saints »,  étaient autant de titres de programmes qui s'accordaient parfaitement à la situation.
D'autres stations de radios avaient carrément affiché leur penchant pour le régime à la mode. La programmation du matin avait été certes modifiée pour la grande majorité. Pas de panéliste ni d'intervenant. Seulement de la musique engagée.
Et dans le genre, le chef du régime avait inspiré pas mal de groupes et institutions musicales de telle sorte que la discographie dédiée à sa personne, sa cause et ses œuvres était conséquente.
La chanson la plus diffusée représentait une pointe directe lancée contre ceux qui voudraient joindre les rangs des mutins. Elle comparait les citoyens à un paquet de crabes ligotés qui cherchent à pincer les doigts de celui qui veut bien les libérer.
D'autres stations du même bord rediffusait des discours prononcés lors de l'inauguration de certaines réalisations  capitales  comme l'aéroport international qui portait son nom d'ailleurs et la seule centrale hydroélectrique dont dépendait l'électrification d'une grande partie du pays.
Les stations reconnues pour leur tendance plutôt contraire misèrent sur une neutralité trop prononcée qui pointa bien clairement leur attitude opposée au régime.
Leurs programmations composées de musiques classiques, instrumentales et de chansonnettes françaises ne surprirent pas Gaspard qui finit par accepter l'évidence. Pour l'instant ce n'est pas à travers la radio qu'il allait se renseigner et s'informer.
L’obscurité de sa chambre se dissipa graduellement avec la rentrée des rayons de soleil par les murs en bois ajourés de la pièce. La cour était de plus en plus réveillée.
A chaque bruit d’arme lourde, les gens qui commençaient à reprendre leur rythme habituel de la journée, sursautèrent et restèrent figés quelques secondes avant de reprendre leur souffle et continuer à vaquer à leurs occupations.
Il était clair que les écoles chômeraient. Aujourd’hui et jusqu’à nouvel ordre. La cour sera beaucoup plus bruyante et animée. Ce sera un jour de vacances d’été avant l’heure. Ceci ne plait pas beaucoup à gaspard qui ne pourra surement pas travailler chez lui.
Les premiers enfants à se réveiller, déroulèrent leur routine sans trop se soucier du bombardement dont faisait l’objet le palais national et d’autres édifices publics du centre ville.
Les odeurs à café, les aromes à cannelle, mélisse, citronnelle vinrent annoncer une journée normale.
Pourtant, ce matin, Gaspard n’a eu ni son gobelet  de café fumant sur sa table, ni son seau d’eau posé en périphérie du monticule de pierres, attenant au mur.
Pour lui débutait une journée de merde. Il souhaitait de toutes ses forces une issue la plus rapide possible. Pour  lui définitivement la meilleure option aurait été la continuité pure et simple. Les changements de gouvernement charrient en fait trop de changements dans l’administration. Des modifications qui ne font que retarder les choses et faire perdre du temps.
Dans l’intérêt de son enquête, il avait peur que ses personnages cibles n’aient été obligés de quitter le pays.  Il reconnut quand même que son intérêt personnel passait,  en cette occasion,  avant l’intérêt de sa chère nation.
Il avait tout prévu sauf cette énième révolution.
Dans son agenda pour l’après midi d’aujourd’hui, il avait rendez-vous avec le cordonnier pour récupérer ses chaussures et surtout pour discuter avec lui de Sion.  Ce pays vers ou il faisait route tous les matins. Accompagnés de sa femme et ses enfants.  Sans oublier ses poules,  son chien et son chat.
Il espérait de toutes ses convictions un éclaircissement rapide de la situation car il se trouvait cloîtré chez lui sans pouvoir entamer sa journée.
Il ne savait pas si la marchande de café avait osé braver les tir d’obus et de mortier pour préparer son produit. Il ignorait aussi si le petit garçon qui joue le rôle de messager ne se trouvait pas caché  sous un lit, paralysé par la peur.
Il allait falloir se démerder ce matin.
C’est compliqué de vivre avec toutes ces incertitudes. L’attentisme est l’antichambre de la  mort. Un pas vers le néant. Il vous éloigne de la réalité et de ses vérités. Lui, il avait puisé son essence vitale dans l’action et dans l’activité. Il vivait parce qu’il agissait. L’horreur de subir les choses lui avait taillé une renommée d’enfant pommé puis de jeune homme ayant perdu la raison.
D’ailleurs ce sont ces mots qui revenaient le plus souvent quand il parlait à quelqu’un de l’importance et du sérieux de son enquête.
Il n’a jamais compris pourquoi il a toujours été le seul à capter l’évidence qui se cachait dans la succession de ces faits qui a commencé par la présence d’une voiture sur le faite d’un arbre centenaire d’un cimetière suivie sept cent soixante dix sept jours plus tard par un accident mortel dans lequel avaient perdu la vie les deux occupants de la voiture perchée.
Une curiosité utile l’avait rongée depuis les premiers instants. Ses heures d’insomnie ne se calculaient plus. Il écrivait la nuit ce qu’il corrigeait le matin. Des synthèses, des hypothèses et des déductions se succédèrent. Mais il lui était impossible  voire interdit de ne pas chercher à comprendre et à savoir.
Aujourd’hui, ou plutôt hier, il se trouvait à deux pas de résoudre les énigmes indispensables pour accoucher la démonstration de ses hypothèse et la conclusion de son enquête.
Il y était presque.
Avant le passage de l’avion avec ses tracts, le  départ de Lamentin d’un vaisseau de guerre, il avait interprété à moitié l’énigme photographié pendant les funérailles. 
Dans l’ordre logique qu’il avait établi, il lui restait cette visite chez le pasteur pour avoir sa version.
En passant il lui aurait posé des questions pour savoir si au moins lui il était conscient que ces fidèles sans trop savoir pourquoi, se déclaraient sionistes en faisant route vers Sion leur beau pays.
Il était évident que pour la grande majorité de ses ouailles le mot Sion représentait juste un son. Et  pour eux ce n’est pas le mot clé de la chanson. D’ailleurs pourquoi s’emmerderaient-ils à se poser la question sur un mot quand dans la chanson il est question que chaque soldat devra recevoir la gloire après la souffrance ?
Combien de fois dans ses sermons, le pasteur ne leur avait-il pas dit qu’ils étaient des soldats de Christ ?
 Ils avaient fini par s’assimiler à de vrais soldats de Dieu. Et dans la chanson, ils étaient contents de savoir que comme soldats, ils recevraient la gloire.
Toute gloire est toujours bonne à prendre.
Même l’imméritée, l’usurpée ou la divine. Surtout pour des humains qui se retrouvent un bon matin les mains vides, liées derrière le dos obligés à prendre un train en marche. Le train ou ne survivent que les braves.
Ce train-monde ou l’humain ressemble plutôt à un élément de décor que le porteur et forgeur de vies. L’être humain avec ses grimaces et ses gémissements, avec ses fausses joies et ses rires sur commandes semble animer une parodie pour se moquer d’eux-mêmes. 
Il lui restait aussi à élucider l’énigme des noms des filles divulgués lors du poignant témoignage d’un des jeunes hommes. Elbaid et Refne.
Sa planification était presque toute établie avant ce matin.
Aujourd’hui il doit tout reprendre à zéro. Depuis son café, son seau d’eau puis sa douche.
Mais les tirs continuaient encore et encore. Les forces gouvernementales ne répliquaient toujours pas. Les échos s’écoutaient toujours et semblaient sortir d’un même unité spatiale.
La vie revenait petit à petit dans la cour et dans les rues avoisinantes. Des voitures circulaient. En nombre beaucoup plus restreint que d’habitude. Mais les véhicules transportaient des gens qui se sentaient obliger d’aller au travail.
En fait, le gouvernement avait adopté comme méthode de réplique, l’indifférence. Il voulait prouver à l’ensemble de l’opposition, mutins compris, que la population était confiante et serein.
Les employés de l’administration publique avaient reçu l’ordre formel et presque menaçant de se démerder comme ils pouvaient pour arriver à leur travail tôt le matin comme tous les jours.
Beaucoup ont fait la route à pied.
Gaspard aima ce qu’il pressentait.
Les bruits des tirs finirent comme une banalité à intégrer l’environnement sonore de la ville.  Ainsi entre les avertisseurs sonores, le ronronnement des moteurs, les disputes de ménages, les vendeurs de tout, les tirs de cannons faisaient sursauter les passant sans s’inquiéter.

Les enfants les plus jeunes applaudissaient dans un vacarme épouvantable chaque détonation....